Rencontre avec Alix Bénézech : "De tout donner, de trop donner, d'être entière, je trouve que c'est ça d'être une actrice"


Babydoll à l'aise dans ses baskets, l'actrice Alix Bénézech, notre Juno Temple française au visage angélique et à la force de caractère, a déjà une belle carrière derrière elle. A l'affiche prochainement, entre autres, de Camping 3 et de Fractures, le premier film d'Harry Roselmack, Women Lab l'a rencontrée au Pavillon des Canaux, un lieu qui sied parfaitement à cette artiste haute en couleur, grande admiratrice de Marilyn.


Women Lab : Depuis tes débuts au cinéma en 2010 tu as joué à de nombreuses reprises des femmes mises au ban de la société : une prostituée dans L'Odeur de la mandarine, une playmate dans Des lendemains qui chantent, une femme battue dans Que justice soit nôtre et même une bimbo de la télé-réalité dans No Way. Comment t'appropries-tu ces rôles de femmes mises à mal ?

Alix Bénézech : C'est étonnant car je n'ai jamais analysé ma filmographie comme tu l'analyses donc c'est drôle d'avoir un regard un peu extérieur et de se rendre compte de cela. C'est ça que j'aime dans le métier, le cinéma accueille un peu les vilains petits canards et c'est ce qui est intéressant. Dès que c'est un personnage qui a des aspérités, des défauts, des failles, là le cinéma va les mettre en lumière et c'est ce que j'aime. Finalement, le cinéma rend justice à des personnages ou des personnes qui n'auraient peut-être pas eu cette chance dans la vie. 

WL : Tu es bientôt à l'affiche de trois longs-métrages : Camping 3, de Fabien Onteniente, La Vie nous appartient, d'Alex K. Lee, et Fractures, d'Harry Roselmack. Parle-nous de ces trois nouveaux rôles.

Dans Camping 3 je joue Manon, qui est l'un des jeunes personnages qui va débarquer dans la vie de Patrick Chirac et bouleverser un peu son été au camping. Ils vont faire du co-voiturage, puis du co-couchage, et arrivent des personnages féminins, dont l'un de ses personnages-là, que ses trois nouveaux copains d'une vingtaine d'années vont permettre à Patrick Chirac de rencontrer enfin une copine, puisque c'est un peu sa quête d'un Camping à l'autre. Sur Tinder il va rencontrer Manon et, évidemment, il y a plus de trente ans d'écart entre eux et donc tout le film parle de cet écart de génération, de ce que c'est d'être une jeune fille en 2016 et ce qui a changé pour lui. Pendant tout le film il prend un peu des claques de cette réalité, de cette jeunesse, donc c'est très drôle il y a plein de malentendus et de décalages. C'était rigolo de jouer une jeune fille d'aujourd'hui, décomplexée, et en plus qui rencontre un personnage aussi mythique que Patrick Chirac.

Dans La Vie nous appartient, le personnage que je joue n'a rien à voir avec Manon. J'incarne Sarah, une adolescente torturée de 16 ans qui vit très mal son époque, qui justement est une époque de paraître, d'image et de réseaux sociaux. Et pour elle, tout ce qui est réseaux sociaux, ça va lui permettre de rencontrer un copain sur Internet, de construire un personnage derrière un écran et décider ensemble de mettre fin à leur mal-être. Et en fait quand ils se rencontrent en vrai et qu'ils veulent passer à l'acte, ils ne se plaisent pas car ils se sont construits un personnage derrière un écran et la réalité n'est pas la même. C'était un peu des héros, ils s'idéalisaient l'un et l'autre et quand ils se rencontrent en vrai ils ne se supportent pas. Et puis ils sont à l'étranger car ils ont décidé de se suicider dans le pays où elle était quand elle était petite donc ils doivent faire le chemin dans la forêt et n'ont pas d'autres choix que de se supporter (rires). Ce chemin entre deux personnes que tout oppose va leur permettre de grandir et de devenir adulte finalement. C'est un film philosophique qui parle de questions existentielles importantes et fortes. On a fait plein de festivals avec ce film et on a donc rencontré beaucoup de lycéens et de collégiens. On a eu vraiment de bons retours et même des lettres de jeunes qui nous ont dit à quel point ce film avait changé leur vie.

Nous n'avons pas encore terminé le tournage de Fractures mais je joue un personnage qui s'appelle Jenny et qui est un petit oiseau perdu, que la vie a posé à une place qui n'est pas la sienne et qui subit un quotidien qu'elle n'assume pas. C'est un personnage magnifique, c'est un peu une petite Marilyn Monroe, un petit oiseau cassé et après c'est l'un des personnages qui va avoir un destin lumineux dans le film. C'est superbe de jouer un personnage à qui la vie sourit enfin !

WL : Le 17 avril prochain sur Canal+ tu seras Juliet dans le court-métrage d'anticipation du même nom. Qui est cette femme mystérieuse venue tout droit du futur ?

Cette femme c'est un robot. C'est une femme qui n'existe pas ou qui existe, c'est peut-être l'avenir de la femme, je ne sais pas, est-ce qu'il va y avoir, je ne sais pas, une nouvelle existence ? Bon il y a déjà des robots qui existent mais c'est intéressant parce que ce film s'interroge sur ces objets qui n'en sont peut-être pas et qui ont peut-être une âme. On ne sait pas. Il y a d'autres personnages-robots mais Juliet c'est l'héroïne, et Juliet c'est un peu comme les nouveaux Iphone, ce serait une version très très très évoluée de nos smartphones, c'est-à-dire un robot qui va faire partie de notre quotidien  et qui va le rendre plus facile. Donc ça s'interroge sur une nouvelle forme d'esclavage, de non-liberté et les relations entre les hommes et ses robots. C'est drôle car en fonction des festivals où il a été projeté -car il a eu plein de prix en festival - il y en a où il a été accueilli comme une comédie et en Corée, par exemple, les gens ont trouvé que c'était un film dramatique parce qu'il faisait écho, peut-être, à leur futur quotidien.

En fait ce sont toutes les femmes qui s'engagent et toutes les femmes qui s'assument qui m'inspirent.

WL : On a parlé de Manon, de Sarah, de Jenny, de Marilyn, de Juliet... Y'a-t-il des femmes qui t'inspirent au quotidien ? 

Audrey Hepburn par exemple, parce que je trouve que c'est une actrice extraordinaire mais aussi une femme qui a fait beaucoup de choses pour le monde, qui a eu un engagement fort. En fait ce sont toutes les femmes qui s'engagent et toutes les femmes qui s'assument. Les femmes comme les hommes d'ailleurs. Ca me rend triste de devoir juste parler des femmes parce qu'effectivement on n'en parle pas assez. Il y a des hommes qui s'engagent aussi pour les femmes. Sinon il y a Lisa Azuelos, je trouve que son combat, le fait de mettre un mot sur toutes les formes de violence est un engagement qui est admirable. Il y a aussi des femmes qui s'engagent pour les femmes et qui sont un peu plus dans l'ombre comme Micheline Abergel (fondatrice de l'association AE-HPI ndlr), Nathalie Cougny (peintre, poète et auteure de Les voix des femmes - Contre les violences sexuelles envers les femmes ndlr) et Sarah Kaddour (fondatrice de l'association Unissons nos voix ndlr). Ce sont des femmes que j'ai pu côtoyer, je les ai un petit peu accompagnées sur leurs engagement pour Toi femmes, Les voix des femmes... Ce sont des associations que je suis depuis près de deux ans maintenant. Et puis après j'aime Camille Claudel, qui est une héroïne désespérée qui m'inspire. Marilyn Monroe aussi m'inspire énormément. C'est drôle d'ailleurs car je suis tombée sur un article littéraire où il parlait de l'évolution de la figure de Marilyn aujourd'hui et il parlait de moi (rires). 

WL : Tu as parlé d'associations, est-ce que tu es affiliée à une association en particulier ?

Oui il y a Les Papillons de Charcot, Les Voix des femmes et Toi Femmes.

WL : Il y a eu un clip de l'association Toi Femmes auquel tu as participé. Comment t'es-tu retrouvée sur ce projet ?

Le clip était lié au film Que justice soit nôtre (co-réalisé par Alix en 2014 ndlr), et en fait au même moment j'avais rencontré Micheline Abergel, Nathalie Cougny et toute l'équipe et ça s'est fait naturellement. Au fur et à mesure des rencontres, on partageait les mêmes idées et en fait je leur ai proposé que la chanson soit le générique de fin. 

WL : Qu'est-ce que tu te dis quand tu vois ton reflet dans le miroir ?

Je ne me regarde pas dans le miroir (rires). Non non ce n'est pas vrai je plaisante. Je ne me parle pas trop dans le miroir, je fais mes trucs vite fait. C'est marrant car c'est ce qu'un ami m'a dit en allant chez moi : "Mais il n'y a pas de grand miroir chez toi" ! (rires). Je suis assez mec même si je n'ai pas l'air comme ça. Au quotidien, je ne me maquille pas beaucoup. En fait c'est étonnant parce que je pense que je l'étais plus avant. Quand j'étais ado j'adorais, j'avais un look improbable, je m'habillais avec plein de couleurs, j'étais très maquillée et depuis que je suis comédienne, le fait d'être tout le temps devant des personnages et devant des miroirs, me donne envie d'aller vers la simplicité. Mais sinon je me dit souvent, pas forcément dans le miroir, que tout va bien, même quand ça va mal ! 

WL : Qu'aimerais-tu accomplir dans le futur en dehors du monde du cinéma ?

De grandes choses (rires) ! J'ai des idées de fondations, pour l'éducation des jeunes filles, mais aussi pour l'écologie. J'ai grandi à Fribourg en Brisgau, qui est la capitale écologique du monde maintenant et en fait j'ai toujours été dans un univers extremement naturel et bio. C'est quelque chose qui me parle, que ce soit le bien de la planète ou même des animaux. 

Paris est une ville qui peut être assez violente pour une femme au quotidien.

WL : À quel moment de ta vie as-tu compris qu'être une femme ça n'allait pas être si simple ?

Je me le dis souvent. Ce n'est pas venu tôt car quand j'étais enfant j'avais une vie extrêmement rêvée. En Allemagne, les enfants sont rois, il y a une vraie liberté. Là-bas chacun est responsable. C'est très étonnant mais il y a notre famille, les parents, mais il y a aussi la famille au sens large, les voisins, les passants dans la rue. Les gens sont attentifs aux autres et sont très humains. Je suis arrivée en France à l'âge de 9 ans. Ça a été un peu un choc mais après je pense que Paris c'est une ville qui peut être assez violente pour une femme au quotidien. Il y a plein de petites choses qui font qu'on est un peu obligée de se construire une carapace. C'est terrible car quand on est comédien on doit justement apprendre à être honnête, à ne pas mentir, à ne pas être quelqu'un d'autre, à être soi, sincère. Mais moi je n'arrive pas à être autrement que je suis. Mais il y a des jours aussi où je me dis qu'être une fille c'est génial ! Parce qu'on parle beaucoup des combats et il faut mais il y a quand même des aspects positifs dans le fait d'être une femme.

WL : Tu as donc eu une enfance paisible mais à quel moment t'es tu fait la réflexion qu'être une femme ça n'allait pas être de tout repos ?

Elle est venue d'abord à travers les livres, pas forcément d'expériences personnelles. Elle est venue vers 10-11 ans, je m'intéressais beaucoup aux deux guerres, j'ai lu plein de choses là-dessus ça m'intéressait et puis après en grandissant, en lisant les romans, je me suis rendue compte que les héroïnes féminines avaient toujours des destins tragiques. Du coup ça ne me donnait pas envie d'être amoureuse, parce que dès qu'on est amoureux et qu'on vit une histoire on meurt (rires). J'ai vu la vie à travers la grille des romans pendant longtemps. Et puis quand j'ai commencé à jouer, à rencontrer les autres, je me suis rendue compte que les choses étaient bien plus simples dans la vie que dans la littérature !

WL : Pour finir, as-tu une parole/citation prononcée par une femme que tu aurais aimée dire ?

Oui Marilyn a dit : "Je n'aimerais pas être riche j'aimerais être merveilleuse". Je trouve cela magnifique. C'est fou à quel point cette femme a été haïe, détestée, moquée parce qu'elle incarnait tout ce qui faisait peur et qui fait peur depuis toujours, depuis le Moyen-âge : la sexualité. Et à la fois la personne exemplaire qu'elle était. Il n'y avait quasiment rien chez elle, tout ce qu'elle possédait elle le donnait. C'est quelque chose qui me parle énormément. De tout donner, de trop donner, d'être entière. Moi je trouve que c'est ça d'être une actrice.

                                                                                 Propos recueillis par Women Lab le 12 avril 2016.


Crédits photos : © Isabelle Ratane / © Blue Movies Productions

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