Marion, de la marque de lingerie OSEZ : "On ne sait toujours pas de quoi sont faits nos sous-vêtements alors qu'ils sont le premier contact avec notre intimité"


Depuis un an maintenant, Marion et Corentin ont créé la marque de lingerie française OSEZ, qui tend à réhabiliter la petite culotte en coton, souvent rangée au fond de nos tiroirs, lui préférant ce cher dessous en dentelle, bien souvent au détriment d'un confort certain... Proposant une lingerie pop et gourmande, le couple travaille de concert dans cette exploration textile qui ne veut que du bien au corps de la femme, photographié sans fards dans toute son authenticité. Rencontre virtuelle avec celle qui porte justement la culotte (!).


Marion Moulet, co-fondactrice d'OSEZ © Fabien Roux
Marion Moulet, co-fondactrice d'OSEZ © Fabien Roux

Women Lab : Tu es la co-fondatrice de la marque de lingerie OSEZ. Comment t'es-tu retrouvée dans cette folle aventure ?

Marion : Avec Corentin, mon compagnon de vie, de fortune, de route, nous nous sommes lancés il y a maintenant un an. J'ai fait des études de graphisme à Nantes, travaillé un peu à Paris, puis j'ai voyagé en Nouvelle-Zélande. À mon retour, avec mon ami, je n'avais pas forcément envie de retourner en agence. On avait envie tous les deux de créer quelque chose et la question de la place de la femme et de son image dans notre société me touche énormément depuis très longtemps, avant même que je rencontre Corentin. C'est venu assez naturellement en fait, de discussions en discussions, puis à un moment on s'est dit : allez on joue cartes sur table, pourquoi pas nous ? Il n'y a pas vraiment eu un déclic, ça a plutôt été un cheminement naturel, un ras-le-bol grandissant et des discussions interminables entre amis qui ont donné naissance à OSEZ.

WL : Vous êtes donc ce qu'on appelle des auto-entrepreneurs.

Exactement. On s'est fait tout seuls si on peut dire ça comme ça. On fonctionne en auto-financement depuis le début. On a bien tenté de se rapprocher des banques mais, étant encore sous le statut de la micro-entreprise, on a très vite compris que ce n'était pas des gens qui étaient à même de comprendre notre dilemme et notre challenge. Aujourd'hui, le concept d'OSEZ prend une ampleur intéressante, on pense donc évoluer en société afin de démarcher les banques, des associés ou investisseurs. Pour notre crédibilité, ça devient important d'avoir un statut officiel de société.

© Sarah Gineston
© Sarah Gineston

Nous nous concentrons actuellement à 100% sur OSEZ. On a une mentalité d'auto-entrepreneurs, dans le sens où on a envie de tenter des choses. On vit de fond la difficulté du marché de l'emploi alors on a décidé de faire bouger les choses par nous-même. Corentin s'est lancé dans le code sans rien y connaître et a réussi à développer le site OSEZ en des temps records. Je n'ai aucune formation dans la gestion d'une boîte mais ça vient avec le temps : on apprend sur le tas ! On a aussi la chance de compter sur le frère de Corentin pour nous guider dans l'évolution de OSEZ. Il a déjà expérimenté la création de boîtes et a monté sa propre entreprise PLAYART, un atelier d'impression numérique textile. Atelier qui nous a d'ailleurs permis d'élaborer le concept d'OSEZ ! L'idée d'OSEZ était à la base, travailler l'image de la femme au travers la lingerie mais d'un point de vue logistique et trésorerie, il nous était impossible de le développer en auto­financement. Corentin s'est dit : "on a quand même des machines d'impression à portée de main, pourquoi on ne tenterait pas d'imprimer nos visuels sur des culottes ?".

WL : Sur le site on trouve aussi des t-shirts, des sweats et des tote-bags.

Oui c'est pour que les femmes qui ne portent pas de culottes en coton puissent se retrouver dans OSEZ, qu'elles puissent tout de même s'identifier à nos valeurs, s'amuser avec nos visuels. Mais pour moi le vecteur principal de communication d'OSEZ c'est clairement la petite culotte et on a encore maintes et maintes choses à faire avec.

WL : Et pourquoi avoir choisi le nom OSEZ ?

© OSEZ
© OSEZ

Tout simplement parce que oser c'est "avoir l'audace de" et là pour le coup c'était avoir l'audace de se mettre en culotte pour véhiculer des valeurs humaines. Un verbe impactant qui, conjugué, implique la communauté. Sans toutes les nanas avec qui on travaille, sans toutes nos amies qui ont pour la première fois posées en culotte pour nous, on ne serait jamais devenus ce qu'on est aujourd'hui. Donc c'est l'audace oui, mais l'audace ensemble.

WL : Vous êtes actuellement en train de plancher sur d'autres pièces de lingerie que la culotte. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?

On a démarché le Lycée de la Mode de Cholet (49) afin de travailler en collaboration à la création de modèles de lingerie disponible dans un maximum de tailles. On a eu la chance de rencontrer Sonia Zbinden, jeune étudiante en BTS. Elle nous a pris sous son aile et nous a designé toute une collection de lingerie pour son projet de fin d'études. Notre challenge était de diversifier les tailles tout en conservant le confort et l'esthétisme du produit. Sonia a donc planché sur un système de soutiens-gorges sans armatures, avec une fermeture dans le dos un peu particulière : on va enfin faire évoluer le système des 3 agrafes !

© OSEZ
© OSEZ

Sonia a présenté le projet devant son jury il y a tout juste une semaine donc on a à peu près fixé les designs, mais il reste encore pas mal de boulot !

On a encore plein de choses à dire sur la lingerie, toujours avec l'envie de la rendre plus accessible et confortable.

WL : Quel rapport entretiens-tu personnellement avec la lingerie que l'on trouve actuellement en magasins ?

J'ai de la chance de ne pas avoir à aller dans des magasins spécialisés pour trouver de la lingerie qui me va, mais même sans ça je n'ai jamais été bien dans mon soutien-gorge et souvent c'est l'estomac qui prend, j'ai l'impression que dès que je mange un truc je vais faire péter les agrafes (rires) ! Finalement, je n'ai jamais eu l'impression d'être bien dans mes soutiens-gorges. Après, pour avoir de la qualité c'est très cher et c'est surtout : est-ce que je dois porter de la dentelle pour me sentir femme ? Est-ce que c'est ça qui me définit moi en tant que femme ? Est-ce qu'au final je ne me recherche pas moi en tant que femme en me forçant à porter de la lingerie ? Un rapport un peu conflictuel entre la notion de féminité et la lingerie dite traditionnelle. 

Et puis c'est cette idée de : "oh j'ai mes règles je vais mettre cette vieille culotte en coton". Pourquoi ne la porter que lorsque l'on a ses règles ? Et pourquoi parler de vieille culotte en coton sachant que ce n'est pas ce que tu portes qui définit ta féminité... Et surtout ce n'est pas elle qui va faire plus de bien à mon vagin, dans le sens où on ne sait jamais ce qu'on trouve dans les produtis synthétiques. On ne sait toujours pas de quoi sont faits nos sous-vêtements alors qu'ils sont le premier contact avec notre intimité. OSEZ  ne propose que des culottes en coton bio avec 95% de coton et 5% d'élasthane, qui correspondent à l'élastique qui vient tenir la culotte. Et celui-ci ne scinde pas la fesse ! Donc fini les marques de culottes sur le jean !

WL : Ces fameuses culottes 100% coton bio sont portées par des modèles qui ne sont pas passés par la case Photoshop...

© OSEZ
© OSEZ
© OSEZ
© OSEZ

C'est moi qui prend les photos, on est un peu multi-casquettes dans l'équipe puisqu'en fait on est que deux (rires) ! L'idée est de dévoiler les femmes telles qu'elles le sont. Photoshop n'est pas utile et fausse l'image que l'on se fait des femmes. Une peau lisse, pas un poil sur le caillou...ça n'existe tout simplement pas ! J'ai réuni mes amies pour des premiers shootings mais les premières photos ne correspondaient absolument pas à ce qu'on voulait véhiculer. On a tenté des mises en scènes avec des accessoires, des chapeaux... ça n'allait pas du tout ! OSEZ est là pour refléter la féminité de chacune, sans mise en scène abracadabrantes. Au fur et à mesure de l'évolution du projet, les photos se sont épurées. Aujourd'hui, ce sont des femmes du quotidien qui se proposent de poser. Je pense qu'elles se disent : "merde moi aussi je suis belle, j'ai envie de le montrer et de montrer que je m'assume !".

WL : Que penses-tu de l'image de la femme véhiculée dans la publicité et les médias ?

À vomir ! Il y a des campagnes de pub qui sont diverses et variées, très belles, mais il y a toujours une beauté universelle, cette notion de femme unique. Si tu ne lui ressembles pas il faut croire que tu n'es pas vraiment belle. Ce qui me dérange aussi c'est la sursexualisation de la femme. Toujours affichée dans des positions ridicules et de séduction. Je ne dit pas qu'une femme ne devrait pas séduire, bien au contraire ! Par contre elle ne devrait pas se définir au travers ce concept unique pour se sentir femme. Et c'est malheureusement l'image que les médias nous font bouffer à longueur de temps.

On pourrait dire que c'est à nous, en tant que femme, de se désolidariser de ce que l'on voit, mais la pub est partout : elle apparaît lorsqu'on allume la télévision, notre ordinateur, quand on sort dans la rue... C'est du non-stop, contre notre volonté, ce sont les premières images que l'on a gamines et les premières images que l'on associe à la définition de femme.

WL : Quelles femmes t'inspirent au quotidien ?

© Cécile Dormeau
© Cécile Dormeau

De par ma formation de graphiste je vais être plus sensible  à des photographes ou des illustratrices donc je dirais Ashley Harmitage, qui est une photographe très suivie sur Instagram et qui retravaille l'image des femmes d'une manière pop, entre songe et douceur, avec de magnifiques focus sur le corps des femmes. Il y a la photographe, Amaal Said, qui est aussi poète. Ses photos retranscrivent toute la diversité des femmes dans un ambiance ultra colorée. Sinon en illustratrice j'adore Cécile Dormeau, son tumblr donne un bon coup de fouet, j'aime beaucoup ses petits gifs animés, son travail m'inspire beaucoup.

WL : Te sens-tu féministe et qu'est-ce que le féminisme pour toi ?

Évidemment. Être féministe c'est être humain, c'est se battre pour l'égalité. C'est un mouvement de pensée, un mouvement social, philosophique, artistique, qui travaille à l'égalité de tous. C'est quelque chose qui semble tellement évident ! Je ne comprends pas qu'un facteur génétique puisse influencer sur ta place dans la société. Après j'emploie des guillemets pour parler de féminisme en tant que créatrice d'une marque. Il faut dire ce qui est, le mot féministe est soumis à interprétation, en tout cas il a été extrapolé.

Ce que je trouve vraiment navrant, c'est qu'on incrimine le féminisme en oubliant qu'il se bat contre le sexisme. C'est le sexisme qu'il faut incriminer !

Quand on voit ce qui se lit dans l'actualité, qu'est-ce qui est le plus choquant ? voir des femmes manifester les seins nus ou les tweets de Christine Boutin ? (rires). Je viens d'entendre le mot "pop-féminisme". J'aime bien, le terme féministe a effectivement besoin d'être rafraîchi.

WL : À quel moment de ta vie as-tu compris qu'être une femme ça n'allait pas être simple ?

Très tôt. Le premier rapport à l'homme, le premier rapport au corps. Je n'ai pas d'exemples concrets en tête mais j'ai l'impression d'avoir toute ma vie vécue avec ce sentiment-là : t'es une nana donc tu vas devoir te battre plus qu'un homme. Ce qui est dérengeant et anormal certes, mais je pense que c'est aussi ce qui fait ce que je suis aujourd'hui.

Avoir été confrontée à des difficultés en tant que femme m'a donné envie de me surpasser, prouver que derrière un sexe, il y a un humain qui a des choses à faire, des choses à dire, à entreprendre. 

WL : Que dirais-tu à la jeune fille que tu étais si tu la recroisais ? 

Je lui dirais : "Fonce ma grande, n'en fait qu'à ta tête et amuse-toi" !

WL : Et aux jeunes femmes qui veulent se lancer, comme toi, dans l'auto-entreprenariat ?

Fonce, accroche-toi, et quand tu te sens seule exprime-le. Ce qui est difficile dans l'entreprenariat est ce sentiment de solitude, l'impression de devoir franchir des montagnes en solo ! Il faut parler, l'exprimer par un moyen ou un autre, vider son sac même à des gens qui n'ont rien à voir. C'est peut-­être cette personne qui te fera rebondir sur une nouvelle idée. Il faut foncer c'est loin d'être impossible !

WL : Pour finir, aurais-tu une parole prononcée par une femme que tu aimerais nous faire partager ?

"I'm a real rebel with a cause" de la grande Nina Simone. Sa musique m'accompagne au quotidien avec toute sa douceur coriace et son énergie.


                                                                 Propos recueillis par Women Lab via Skype le 17 mai 2016.


Crédits : © Marion Moulet / © Fabien Roux / © Sarah Gineston / © Cécile Dormeau

© 2016 Women Lab - Tous droits réservés
Optimisé par Webnode
Créez votre site web gratuitement ! Ce site internet a été réalisé avec Webnode. Créez le votre gratuitement aujourd'hui ! Commencer