Rencontre avec Joy Esther de Nos Chers Voisins : "Chloé, c'est une fille d'aujourd'hui, de 2016, indépendante"


À l'aise dans ses baskets, le sourire en bandoulière et la passion comme fil rouge, l'actrice Joy Esther a accepté de répondre aux questions de Women Lab, en toute décontraction, au bar Le Sancerre (3ème arrondissement de Paris). Rencontre avec une femme bien dans son époque, incollable sur Romy Schneider et dont le rêve le plus fou serait d'incarner un homme à l'écran.


Women Lab : Tu es à l'affiche de la quatrième saison de Nos Chers Voisins, tu viens de finir le tournage du téléfilm J'ai épousé un meurtrier, tu chantes, tu fais de la publicité, tu as lancé ta marque de vêtements By Cocoroomie... Qu'est-ce qui t'anime ? 

Joy Esther : Je suis assez passionnée, mais ça depuis toute petite. Quand j'étais petite, mes parents m'ont inscrite dans plein de choses pour voir si, au moins, quelque chose me plaisait. Et en fait tout me plaisait donc j'ai fait du sport, je suis passée du judo à la natation, à la danse classique, au théâtre, au chant... donc j'ai toujours été assez occupée. Et puis forcément quand on est artiste, il y a des moments où il y a un peu de creux, donc il faut toujours avoir la foi, c'est vrai que j'ai toujours voulu faire plein de choses, m'occuper, mais avec des gens. À chaque fois que j'entreprends des projets j'aime bien être à deux où à plusieurs, c'est plus sympa pour l'échange. 

WL : Voilà un peu plus de 20 ans que tu as débuté dans le milieu de la télévision, du cinéma et du théâtre. Tu as joué des femmes plurielles mais laquelle a été la plus difficile à interpréter et de laquelle te sens-tu le plus proche ? 

Alors le plus difficile, le rôle le plus compliqué, et en même temps le plus beau pour le moment que l'on m'ait offert, c'est dans un téléfilm pour France 3 qui s'appelait Paradis Criminel. Je jouais à côté de Jemima West, une super comédienne, et là pour le coup j'avais des scènes de violence, notamment un viol, en plan-séquence en plus, donc sans couper : ça a duré 15 minutes. Avec le comédien et le réalisateur on en a beaucoup parlé, de la manière dont il fallait que ce soit violent, et voilà, il faut lâcher-prise, mais le réalisateur (Serge Meynard ndlr) m'inspirait vraiment confiance. Il nous a mis dans une espèce de cocon, mais c'était difficile, j'avais 23 ans, c'était pas évident. C'était très dur mais j'ai adoré, c'est une de mes plus belles expériences. Ce réalisateur c'est quelqu'un qui sait parler à ses comédiens et comédiennes et nous mettre en confiance donc ça c'était cool. 

Après me reconnaître dans ce rôle-là, pas forcément, par contre Chloé, dans Nos Chers Voisins, c'est hyper jouissif de l'incarner parce que je ne suis pas du tout comme elle, vraiment pas (rires), mais c'est une fille d'aujourd'hui, de 2016, indépendante, elle gagne sa vie, elle se joue des hommes... Je ne suis pas du tout comme ça mais c'est génial de vaner des vieux, des bébés ou des hommes. Je serais incapable de le faire parce que ce n'est pas dans ma personnalité. Mais dans Chloé je me retrouve dans certaines choses quand même : le côté indépendant, le côté "je gagne ma vie depuis toujours", elle est passionnée comme je le suis, elle est bien dans ses baskets, elle aime se faire jolie, même si moi je suis plus baskets alors qu'elle, c'est talons tout le temps. Donc oui, quand même, on a quelques points communs. Et puis ce qui est bien dans Nos Chers Voisins, c'est qu'on nous fait tout jouer, c'est-à-dire qu'une fois je suis en catwoman sur des talons aiguilles de 20cm et l'épisode d'après j'ai été renversée par un camion-poubelle et on me maquille les dents en noir,  on me dessine des bleus et je suis dégueulasse à l'écran. Un jour j'ai joué mon sosie, j'ai donc joué deux fois Chloé, c'était juste génial, il n'y a que dans ce format-là que l'on m'a proposé ces choses-là. Au final, ça peut plaire ou ne pas plaire mais nous, en tant que comédiens, on s'éclate vraiment.

Dans Chloé je me retrouve dans certaines choses : le côté indépendant, le côté "je gagne ma vie depuis toujours", elle est passionnée comme je le suis, elle est bien dans ses baskets (...).

WL : Et il y a des femmes célèbres que tu aimerais incarner à l'écran ?

Moi j'aimerai jouer un homme : c'est un de mes rêves ! Je rêverais qu'on me propose de me transformer totalement et que je sois méconnaissable. Ça c'est un de mes rêves parce qu'au niveau du travail, ça doit être incroyable. Je le glisse d'ailleurs très souvent aux auteurs de Nos Chers Voisins (rires), donc peut-être qu'un jour on verra un homme qui me ressemblera un peu et on se dira : "C'est-elle ou pas ?" ! Après, des femmes, il y en a plein qui m'ont inspirée : Romy Schneider, Marilyn Monroe, Meryl Streep et j'en passe. Ce sont des femmes qui m'inspirent. Concernant des biopics je ne sais pas, il faut voir la ressemblance que je peux avoir avec ou non avec quelqu'un...

WL : Tu as passé des castings pour des grosses machines hollywoodiennes comme James Bond, Fast and Furious 7 et Massacre à la tronçonneuse. Y'a-t-il une grande différence avec les castings "à la française" ?

Oui c'est très différent. Alors parfois on va dire qu'ils sourient tout le temps, qu'ils sont "fake", mais en attendant ils t'accueillent très très bien, ils sont adorables, ils nous mettent à l'aise. Niveau temps, ça ne dure pas dix minutes. Pour le casting de James Bond par exemple, j'ai dû rester 45 minutes avec l'agente et c'est une des plus grandes directrices de casting au monde. Etre vue par cette femme-là, même si je suis pas prise, c'est quand même travailler avec des personnes qui comptent. Et voila, ils nous mettent à l'aise, ils sont joyeux et contents de nous rencontrer. En fait, on n'a pas l'impression de les déranger alors qu'en France on a parfois l'impression d'être de trop. J'ai été trois mois à Los Angeles il y a quelques années et c'est vrai qu'en France, avoir des rendez-vous avec des agents pour des comédiens qui n'en ont pas, c'est compliqué, alors que là-bas, un soir j'ai envoyé un mail au hasard à un agent et deux heures après j'avais une réponse positive, elle m'a reçue entre deux rendez-vous. J'ai des expériences de potes en France, à Paris, et c'est une galère, les gens ne répondent pas. Finalement, aux Etats-Unis, ils sont très curieux de faire des rencontres, ils se disent "pourquoi pas si ça se trouve je vais rencontrer quelqu'un qui va plaire". Ils sont curieux de toutes les personnes en fait, et ça c'est cool. Après il y a dix fois plus de concurrence, mais quinze fois plus de projets qu'ici. Par exemple, là-bas, durant la saison des pilotes, il n'y en a pas que trois proposés, il y en a soixante-dix ou quatre-vingt.

WL : Tu nous a dit que tu avais eu une enfance bien remplie entre les cours de théâtre, l'apprentissage du chant, le sport.... Quelle femme rêvais-tu d'être quand tu étais petite ?

Le tout premier métier que j'ai voulu faire c'est archéologue, parce que j'étais fascinée par la comédienne dans Jurassic Park (Laura Dern ndlr) et elle m'a donné envie d'exercer ce métier. Après je regardais pas mal de sport à la télé donc il y avait des athlètes qui m'inspiraient, je me souviens de Marie-José Perec, de Surya Bonaly, qui ont remporté des titres, ce sont des femmes qui ont tout gagné. J'ai aussi eu ma période "top des années 90", avec Naomi Campbell, Cindy Crawford, Claudia Schiffer. C'étaient les vrais top, des icônes, elles n'étaient pas que belles, elles assumaient, elles sont devenues des business women et on parle encore d'elles aujourd'hui.

WL : Et il y a eu un déclic qui a fait que tu t'es finalement dirigée vers le théâtre ?

Ça a été Romy Schneider. Je connais par coeur les Sissi, j'ai usé mes cassettes vidéo et quand je l'ai vu la première fois dans ce rôle je suis restée à la renverse, j'avais 11-12 ans. Là je me suis dit : il y a un truc. Au niveau du chant, ça a été Michael Jackson. C'est mon idôle de toujours, je l'écoute toutes les semaines depuis toute petite. Mes parents me l'ont dit, quand j'avais 6-7 ans, j'étais déjà comme une dingue. Et puis je l'ai suivi, à 14 ans, quand il venait à Disney j'attendais en bas de l'hôtel, je me suis même évanouie à son concert en 1997, j'avais 13 ans. Quand il a disparu c'est comme-ci je perdais mon grand-frère. C'était horrible. 

C'est cool d'être une femme, on donne naissance, c'est un truc de fou. Les hommes peuvent tout nous reprocher mais eux ne connaîtront jamais ça. 

WL : À quel moment de ta vie as-tu compris qu'être une femme ça n'allait pas être si simple ?

© Isabelle Ratane
© Isabelle Ratane

Franchement, je ne me suis jamais posée cette question. Jamais de ma vie. Je ne sais pas si c'est lié à l'éducation que j'ai eue : milieu modeste, mes deux parents qui bossaient, qui s'entendaient très bien, qui sont toujours mariés, qui faisaient du sport. Ma mère est espagnole, elle a vécu ses quinze premières années en Espagne mais elle s'est toujours débrouillée, elle a toujours gagné sa vie sans être dépendante de mon père. Et puis moi j'ai fait pas mal de sport masculin, j'ai fait du judo et j'étais la seule fille.

WL : Qu'est-ce qui te plaît dans le fait d'être une femme ?

Je me sens libre de faire ce que je veux. On a quand même la chance d'être nées dans des pays libres. J'aime tout ce que ça comporte en fait : on est complexes, mystérieuses ... C'est cool d'être une femme, on donne naissance, c'est un truc de fou. Les hommes peuvent tout nous reprocher mais eux ne connaîtront jamais ça.

WL : Si on croisait la petite fille que tu étais, que lui dirais-tu ?

Je lui dirais : "Continue, fonce, fais ce que tu aimes, continue d'être passionnée, n'abandonne jamais, va au bout des choses". Alors oui, j'ai eu des périodes creuses, je suis artiste, j'ai eu des années où il ne se passait rien. Mais je suis quelqu'un de très positif, je vois toujours le verre à moitié plein. J'ai eu de grosses déceptions, mais au final je me suis rendue compte que j'étais plus forte que je pensais. Parce que, au bout d'un moment, il faut se bouger, si on ne le fait pas on reste dans un truc un peu noir, il ne faut pas. Parfois je me suis donnée physiquement des claques quand ça n'allait pas. Et il y a aussi un truc que j'avais fait, c'est plutôt cool et ça marche : quand ça ne va pas, il faut se sourire dans le miroir, se forcer. Et franchement, ça marche. Au final tu rigoles toute seule mais ça soulage (rires) !

WL : Et du coup dans le miroir tu souris et tu te dis quoi d'autre quand tu voix ton reflet ?

Je me dis que ça va, que je suis contente de ce que je fais, que je suis une bonne personne. Bon, c'est vrai que j'aurai bien aimé avoir des jambes plus fines, mais je n'ai pas à me plaindre. La beauté c'est éphémère, dans quinze ans je ne serai plus comme ça, donc je profite de ce que l'on m'a donné.

WL : J'ai lu que tu avais parrainé une jeune kenyane, Nkitari, avec l'association Un Enfant par la Main. Y'a-t-il d'autres causes dans lesquelles tu es engagée ? 

La cause animale me tient beaucoup à coeur, je ne suis pas engagée mais je suis cela de très près. Je ne suis pas végétarienne, mais je pense que j'y viendrai, au départ c'est plutôt par goût, mais plus je grandis et plus ça va être, je pense, un choix. Il y aussi la protection de la femme, contre les violences conjugales, les viols... On parle de la femme c'est évident, mais il y a aussi des viols sur les hommes dont on parle beaucoup moins. J'ai vécu ça de près, ça arrive beaucoup plus qu'on ne le pense et on n'en parle pas beaucoup.

WL : Pour toi qu'est-ce que le féminisme ? Te sens-tu féministe ?

Pas trop. Moi quand on m'enlève "Mademoiselle" je trouve que ça va trop loin. Evidemment, je suis pour la liberté, je suis consciente que si on peut voter c'est parce que les femmes se sont battues. Après je trouve juste que parfois ça va un peu trop loin. 

WL : Tu trouves que le mot "féminisme" a une connotation négative ?

Parfois un peu. C'est peut-être parce que les femmes qui nous en parlent ne nous inspirent pas. Peut-être.

© Isabelle Ratane
© Isabelle Ratane

WL : Quels conseils donnerais-tu aux jeunes femmes qui veulent réussir dans la vie, et plus particulièrement dans le domaine du cinéma ?

De ne pas lâcher, de continuer, d'y croire, d'avoir quand même du recul sur soi, d'avoir les pieds sur terre et d'avoir le sens de l'auto-critique. D'y croire toujours et d'être bien accrochée, car ce milieu-là est difficile. Il y a du travail, mais il y a une énorme part de chance. Il faut travailler, prendre des cours, pas lâcher et il faut savoir bien s'entourer. 

WL : Pour finir, as-tu une parole/citation que tu aurais aimé prononcer ?

J'ai une citation, que j'ai écrite il n'y a pas longtemps dans mes notes sur mon téléphone : "Si la vie n'est qu'un passage, sur ce passage au moins semons des fleurs". C'est de Montaigne. Ça me représente bien. Je trouve que c'est joli, ça va avec la saison, c'est intelligent et je m'y retrouve.


                                                                                 Propos recueillis par Women Lab le 13 avril 2016.


Crédits photos : © Isabelle Ratane - © TF1

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