Rencontre avec la comédienne Marie Marquis alias La Castor


Formée au Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris, Marie Marquis alias La Castor sur YouTube, déconstruit à sa façon les barrages que la société prend plaisir à ériger sur le dos des femmes. Féministe douce, elle croque avec humour les petits travers de notre monde actuel et nous livre une web-série piquante, intelligente et audacieuse, que l'on attendait depuis longtemps sur YouTube. Rencontre au bar Le Lavomatic, un lieu insolite où on lave son linge sale en public. 


© Isabelle Ratane
© Isabelle Ratane

Women Lab : Tu as participé à divers projets de théâtre, de publicité, de courts-métrages... Quel a été le déclic pour passer à la web-série en octobre 2015 ? 

Marie Marquis : J'avais envie d'écrire, d'essayer, et puis je me suis tournée vers YouTube parce que c'est le moyen le plus simple, finalement, quand tu n'as pas de production derrière où quoi que ce soit. Et puis ça t'évite les aspects administratifs aussi de la chose (rires), d'obtenir des aides, du coup ça me parassait plus simple d'essayer par ce biais-là, de pouvoir faire ce que j'avais envie, écrire ce que j'avais envie d'écrire et le "balancer" en toute liberté.

WL : Y-a-t-il des web-séries qui t'ont inspirée ?

Non mais j'ai regardé beaucoup ce qui se faisait avant de me lancer mais j'avais l'impression que l'humour YouTube était un peu pauvre.

WL : Tu parles de l'humour en général ou de l'humour au féminin ?

Non, en général, je pense qu'être artiste c'est aussi dénoncer des choses et c'est un côté qui me tient vraiment à coeur dans ce que j'écris. Je n'ai pas trouvé ça sur YouTube, j'ai trouvé surtout de l'humour "kikoulol".

WL : Comment décrirais-tu ta web-série ?

J'essaye de faire passer des messages positifs à travers l'humour. Je n'ai pas du tout envie que ce soit quelque chose de moralisateur, je ne suis pas là pour donner des leçons (...).

Drôle ! J'essaye de faire passer des messages positifs à travers l'humour. Je n'ai pas du tout envie que ce soit quelque chose de moralisateur, je ne suis pas là pour donner des leçons. Je pense juste que l'humour c'est un bon moyen de faire passer des messages, c'est comme ça que ça se fait depuis très longtemps. Il y a plein de choses qui ont avancé, je n'ai pas d'exemple en tête mais l'humour est un bon moyen pour véhiculer des messages.

WL : Dans tes vidéos tu croques les petits travers de notre société, consommatrice, superficielle et stéréotypée. Comment trouves-tu tes thèmes d'écriture ? 

Je m'inspire de mon quotidien évidemment, mais disons que je ne dirais pas que c'est difficile de trouver des idées, c'est plus la réalisation qui est compliquée car des textes j'en ai vraiment beaucoup. Après qu'est-ce qui m'inspire ? J'avais rencontré des féministes lors d'une immersion chez les féminisites radicales et grâce à cette immersion j'ai pris conscience de plein de choses et ça, ça m'a pas mal inspiré à mes débuts, pour L'Historienne du futur notamment. L'idée c'était vraiment de prendre du recul sur le monde de maintenant et essayer de penser comment ce serait si tout ce que les féministes radicales disaient seraient appliqué.

WL  : Ta dernière vidéo, Hey Connard, sur le harcèlement de rue, est tirée d'une expérience personnelle. Racontes-nous le processus de création de cette vidéo dans laquelle tu chantes et joues de la guitare ?

Je rentrais de soirée, je sors du métro et là j'entends : "Tu rentres tard sale pute". Je vois qu'il n'y a personne autour donc je réalise que oui c'est bien à moi que ça s'adresse, et donc le type a commencé à me suivre. J'ai marché de plus en plus vite jusqu'à courir et je suis rentrée chez moi. Je me suis retrouvée comme on se trouve dans ces situations-là : tu rentres chez toi et tu es en colère, tu trembles, tu t'en veux d'avoir rien dit et tu imagines aussi ce que tu aurais pu faire, tu t'imagines avec des supers-pouvoirs (rires) et tu refais le scénario dans ta tête. Et donc impossible de dormir. J'ai pris ma guitare et j'ai commencé à fredonner. 

J'ai commencé comme ça et puis après j'étais fatiguée, j'ai dormi, et le lendemain matin j'ai fini la chanson. Elle est hyper courte et j'ai choisi de ne pas faire de montage : j'ai posé la caméra sur ma commode (rires), j'ai mis le micro par terre et j'ai choisi aussi de ne pas être maquillée, d'être hyper simple car quelque part je n'avais pas envie de faire un effort en m'adressant à ce genre de personne. A la base, je ne pensais même pas que cette vidéo allait être un épisode de la web-série. Quand j'ai rédigée ma chanson je l'ai vraiment fait pour moi et je me suis même posée la question de faire ou non un truc en parallèle de La Castor pour cette vidéo, car pour moi ça ne pouvait même pas faire un épisode. Dans les autres, il y a du montage, une histoire, un personnage, quelque fois des autres acteurs... Finalement, je me suis dit qu'elle y avait totalement sa place.

WL : Revenons sur ton nom de Youtubeuse : La Castor. Pourquoi avoir choisi ce nom de rongeur ?

J'ai cherché plusieurs noms et puis j'avais envie d'une petite mascotte, car je pense que tu te sens plus en sécurité si ce n'est pas toi en photo de profil, et aussi illustrer le côté fait-maison. Du coup, je me suis renseignée sur les castors, je les trouve vraiment géniaux, ils sont doués et construisent des barrages. J'ai donc cherché le féminin de castor et il n'y en a pas donc j'ai rajouté le "la" devant "castor". Et puis je l'ai fait en rouge car j'avais envie d'une couleur forte, déterminante et tranchée. 

© Marie Marquis
© Marie Marquis

WL : C'est une mascotte en pâte à modeler que tu as conçue toi-même.

Oui j'étais avec une amie, Aurélie, on a passé une après-midi atelier manuel et après on est allé la mettre en scène au Bois de Vincennes. 

WL : Savais-tu que Simone de Beauvoir se faisait surnommer Le Castor par Jean-Paul Sartre, dont la traduction anglaise, "beaver", lui faisait penser à Beauvoir ?

Oui mais je ne le savais pas avant, en fait c'est quelqu'un qui suivait mes vidéos qui me l'a dit et qui m'a dit justement si c'était pour cette raison que j'avais choisi ce nom. Et en fait pas du tout !

WL : Ta web-série comporte actuellement 7 épisodes. Quelles sont les prochaines idées que tu aimerais mettre en images ?

Le huitième épisode va sortir incessament sous peu et je suis actuellement en préparation du neuxième. Sur l'épisode 8, qui est assez court, je me suis encore attaquée à la publicité et l'épisode 9 - c'est bientôt l'été - donc à vos régimes les filles (rires) !

WL : Ça te prend combien de temps au total pour réaliser une vidéo (écriture, réalisation, montage) ? T'es-tu formée à la réalisation et au montage ?

J'ai tout fait de manière autodidacte. J'ai découvert le montage grâce aux tutos YouTube. Kevin, 9 ans et demi, m'a aidé à floutter les visages (rires) ! En moyenne ça me prend 2 jours de tournage mis bout à bout et le montage, c'est difficile à quantifier, ça dépend de mon emploi du temps.

WL : Tu utilises un ton sarcastique et beaucoup d'ironie dans tes vidéos. Je pense notamment à l'épisode 5 : Le Tuto Beauté, où tu te moques des pseudos bloggeuses beauté qui pullulent sur Internet. Qu'est-ce qui te déplait tant dans ces vidéos ? 

Quand tu es une fille sur YouTube, je pense que malheureusement les gens s'attendent à ce que tu fasses des tutos beauté. Après elles ne me dérangent pas plus que ça mais c'est dommage que les garçons parlent jeux vidéos et les filles produits de beauté. Et puis j'avais aussi envie de parler de toutes ces choses qu'on ne sait pas sur les produits beauté (le paraben, les perturbateurs endocriniens, les produits chimiques ndlr) et dont je n'étais pas au courant moi-même il y a quelques années. En fait, je ne suis pas là pour donner des leçons, c'est juste une invitation à la réflexion, à réfléchir un peu à notre mode de consommation, à regarder les étiquettes.

WL : Dans l'épisode 3 de ta web-série, L'Historienne du futur, tu parles du 21ème siècle comme d'une "époque terrible pour les femmes". Tu y listes les aberrations telles que le string, l'épilation intégrale, les matières nocives dans les tampons, le harcèlement de rue etc. Peux-tu nous en dire davantage sur ce constat, sur ce qui te révolte aujourd'hui ?

Il y a tellement d'injustices qui concernent les femmes que c'est difficile d'en citer une mais dernièrement, ce qui m'a énormément choquée c'est le dernier sondage sur le viol qui a été fait en France. Apprendre que 40% des sondés pensent que si la victime a eu une attitude provocante en public, la responsabilité du violeur est amoindrie, ça m'a dépitée. J'ai l'impression qu'il y a une sorte d'hypocrisie, un truc qu'on cache comme si tout allait bien chez nous. Et c'est un peu ce que je dis dans L'Historienne du futur, où je parle de l'Europe. Je pense qu'il y a encore de gros problèmes à régler.

WL : Est-ce qu'il y a du positif quand même dans le fait d'être une femme ?

Oui c'est génial d'être une femme ! En fait, je ne me pose pas la question, je ne voudrais pas être un homme. J'adore être une fille, j'en suis très contente !

WL : Y-a-t-il des femmes qui t'inspirent au quotidien ?

En actrice, il y a Meryl Streep, qui est juste incroyable et qui peut tout jouer. Après j'admire beaucoup les femmes qui élèvent leurs enfants toute seule parce que moi j'ai vécu en famille et à partir de l'âge de 12 ans je me suis retrouvée à vivre uniquement avec ma mère, dans une situation très compliquée. J'ai eu l'impression de ne manquer de rien, elle a été vraiment formidable et du coup j'ai une admiration pour les femmes comme elles, qui sont hyper courageuses.

WL : Te sens-tu féministe ? C'est quoi pour toi le féminisme ?

C'est juste faire ce que j'ai envie, comme j'en ai envie, ne pas me forçer à faire des trucs que je n'ai pas envie de faire : c'est ça mon féminisme !

© Isabelle Ratane
© Isabelle Ratane

C'est compliqué en fait le féminisme parce que c'est un terme qui est encore tellement péjoratif. Pour moi le féminisme ce serait de pouvoir dire aux petits garçons qu'ils peuvent pleurer s'ils ont envie de pleurer, s'ils sont tristes, s'ils se font mal, qu'ils ne sont pas obligés de devenir des bonhommes virils. Et de dire aux petites filles qu'elles ne sont pas obligées d'être des princesses et qu'elles peuvent être cosmonautes ! En fait, ce serait comme-ci tout le monde devait être féministe : il y aurait les gens féminsites et puis les autres qui seraient... bizarres en fait ! Après, malheureusement, aujourd'hui c'est un terme qui est super compliqué à définir, c'est pour ça aussi que je ne me revendique d'aucun mouvement, que je fais mon féminisme à ma sauce. C'est juste faire ce que j'ai envie, comme j'en ai envie, ne pas me forçer à faire des trucs que je n'ai pas envie de faire : c'est ça mon féminisme ! Apprécier aussi ce que je suis, c'est-à-dire que moi, pendant longtemps, j'ai voulu coller à l'image qu'on avait de moi quand j'étais adolescente, et je me sens vachement mieux aujourd'hui en étant simplement moi. Ce n'est pas grave si j'aime bien être toute seule, je ne suis pas anormale. Ce n'est pas grave non plus si je n'aime pas le shopping et les talons.

WL : En avril 2013 tu as fait la couverture du magazine féministe Causette. Comment s'est passée cette expérience ?





C'était chouette, c'était assez marrant d'être en papesse, c'était super lourd j'avais mal aux épaules ! J'ai été très contente de poser avec un magazine de cette qualité-là.


WL : Es-tu engagée dans des causes liées aux droits des femmes ?

Non, mais par contre j'avais vu un reportage diffusé sur France 5 sur les femmes vivants dans la rue qui m'a bouleversée et du coup si un jour je le peux, je ferais quelque chose pour elles. Sinon, la cause animale aussi me touche, notamment la Fondation Assistance aux Animaux, à laquelle je donne régulièrement. Je parraine aussi une ruche pour la préservation des abeilles.

WL : À quel moment de ta vie as-tu compris qu'être une femme ça n'allait pas être si simple ?

© Isabelle Ratane
© Isabelle Ratane

Ça m'est arrivée très tôt, c'était en primaire, j'ai posé une question à la maîtresse parce que je ne comprenais pas une règle de grammaire, je lui ai demandé : "Mais je ne comprends pas, s'il y a plusieurs filles et un seul garçon pourquoi on dit "ils courent" ?". Elle m'a dit qu'il pouvait y avoir mille filles et un seul garçon, le masculin l'emporte toujours sur le féminin. Et là, il y a un petit camarade de ma classe qui a dit : "Ouais on est les plus forts" (rires). A partir de ce moment-là, je me suis dit c'est bizarre parce qu'avant je n'avais jamais été confrontée à la différence filles/garçons : je jouais avec des garçons, j'adorais Bioman, les déguisements de cow-boy, en même temps j'avais des petites voitures et des poupées. C'était très mixte et comme j'en avais envie. Et dès ce moment-là, je me suis dit qu'il y avait un truc qui clochait mais sans mettre de mots dessus. Je m'en souviens encore aujourd'hui car cette règle de grammaire m'a marquée. Et en plus la maîtresse ne l'a pas dit méchamment, d'où l'importance des mots.

WL : Que dirais-tu à la jeune fille que tu étais si tu la recroisais ?

Je lui dirais "reste comme ça, ne change rien" car quand t'es petit c'est génial tu te fiches de tout. La dernière fois j'ai revu une vidéo où je faisais de la gymnastique, comme ma grande soeur sauf que j'étais un petit sumo (rires) et sur la vidéo on passe devant un jury. Quand vient mon tour j'assume ce que je fais et j'ai trouvé ça génial ! 

La réussite ce n'est pas ce que les autres attendent de toi, les parents, l'enseignement, la société, les pouces sur YouTube, ce sont les objectifs que tu te fixes à toi-même.

WL : Quels conseils donnerais-tu aux jeunes filles qui veulent se lancer sur YouTube ?

Qu'elles essayent de préparer ce qu'elles ont envie de dire, d'essayer de ne pas ressentir le besoin de copier les autres, de copier les choses qui fonctionnent, que ça peut très bien fonctionner même si ce n'est pas pareil que tout le monde, ne pas avoir peur d'être différente. La réussite ce n'est pas ce que les autres attendent de toi, les parents, l'enseignement, la société, les pouces sur YouTube, ce sont les objectifs que tu te fixes à toi-même.

WL : Pour finir, as-tu une parole/citation prononcée par une femme qui te tient à coeur ?

Simone de Beauvoir a dit : "Ecrire est un métier... qui s'apprend en écrivant".

                                                         
                                                        Propos recueillis par Women Lab le 29 avril 2016 au Lavomatic.


Crédits : © Isabelle Ratane / © La Castor

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