Rencontre avec l'actrice et réalisatrice franco-ukrainienne Diana Rudychenko


Découverte au Festival de Cannes lors de la carte blanche Eroïn où son court-métrage Yushka était sélectionné, Diana Rudychenko prépare actuellement son premier long-métrage. Ancienne mannequin née en Hongrie en 1986, cette self-made-woman nous en dit plus sur sa carrière d'actrice-réalisatrice à l'international, sur la place de la femme dans son pays natal et sur les apparences souvent trompeuses...


© Jseb Deligny
© Jseb Deligny

Women Lab : Comment t'es-venue l'idée de ton dernier court-métrage, Yushka, que tu as tourné en Ukraine ?

Diana Rudychenko : À l'école, il y avait dans ma classe un élève qui s'appelait Lyosha G. C'était un gars peut-être un peu trop gentil et trop timide, donc ses camarades l'avaient choisi comme bouc émissaire. Ces enfants ont été très durs et souvent violents avec Lyosha, le harcelaient et se moquaient de lui. Je regrettais qu'il ne sache pas se défendre. Quand j'ai lu la nouvelle Yushka, d'Andrei Platonov, son personnage principal m'a fait penser à Lyosha et m'a donné envie de l'adapter à l'écran. Cette nouvelle parle de la nature violente et mystérieuse de certains hommes, et de leur besoin de faire mal à l'autre. D'où vient ce mal ? c'est la question qu'Andrei Platonov se pose dans sa nouvelle. C'est aussi la question que je me pose souvent quand je vois ce qui se passe dans le monde. 

    WL : T'a-t-on prise au sérieux lorsque tu as voulu passer du mannequinat à la réalisation, en 2008 ?

    Je n'ai pas connu ce passage, car j'ai commencé à écrire et à réaliser mes premiers films à l'âge de sept ans. Le mannequinat est venu beaucoup plus tard, après mes études. J'essaie de ne pas me prendre la tête avec la question de savoir comment les gens me perçoivent. Au fond, je sais que certains me regardent sans avoir confiance car mon apparence peut faire croire que je suis une fille fragile, venant du fin fond de l'Ukraine, un pays que personne ne connait vraiment. Ils ne s'imaginent pas que je suis capable de porter un gros projet sur mes épaules. En même temps je sais que mon travail peut convaincre.

    Voila pourquoi que je n'ai jamais attendue le feu vert de producteurs et des subventions pour faire mes premiers courts-métrages et clips. J'ai essayé de les produire moi-même avec des amis. Le principal pour moi c'est d'avancer, de réaliser mes idées qui sont encore fraiches, d'apprendre à m'exprimer avec le minimum de moyens, de prendre des risques, de chercher, de faire des erreurs pour éviter de les faire plus tard, avant que je ne travaille avec un producteur, avec qui nous aurions le même souffle et la même envie de faire un beau film.

    J'ai une anecdote à vous raconter qui donne un bon exemple : un chef opérateur avec qui j'ai l'habitude de travailler, m'a dit l'autre jour: "Diana, quand je t'ai vu pour la première fois, en arrivant à l'aéroport en Ukraine pour le tournage de ton film, je me suis dit : "Mon dieu, c'est qui cette gamine ? C'est sûr que le projet va foirer". Mais, malgré un tournage hyper chargé et compliqué, nous avons finalement réussi à faire un très beau film, qui, plus tard, sera sélectionné à Clermont-Ferrant, et dans d' autres festivals.

WL : Après t'être essayé à la réalisation de courts-métrages, as-tu un projet de long-métrage que tu aimerais concrétiser ?

Oui, je travaille sur l'écriture d'un premier long-métrage, qui se déroulera en Ukraine et au Japon. C'est une histoire bouleversante sur l'amour impossible entre deux étrangers.

WL : As-tu ressenti une différence dans le traitement de la femme dans les différents pays que tu as traversé, de la Hongrie à l'Ukraine, en passant par les Etats-Unis et le Japon ?

Oui, j'ai senti cette différence quand j'ai vécu en Ukraine. À l âge de dix huit ans je me suis faite arrêtée par un homme dans la rue de Kiev qui sait tout sur moi : mon âge, qui j'étais et où j'habitais. Il m'a demandé très gentiment si je voulais éventuellement rencontrer et me marier avec un hommes riche. Plus tard j'ai appris que c'était un agent très connu qui venait de Russie pour "former des couples" entre des jeunes filles et des oligarques. Je me suis également faite alpaguée par un autre homme, un député assez âgé qui venait de me voir marcher dans la rue, et qui est sorti de sa grosse voiture pour me demander si je voulais bien jouer sur la scène d'un théâtre national, car il avait beaucoup de contacts. 

Mon agence de mannequin, elle aussi, n'a pas arrêtée de me proposer de participer à des soirées douteuses. Mais heureusement que depuis toute jeune, grace à l'éducation que mes parents m'ont donnée, j'ai la tête sur les épaules et je sais dire "non". Paradoxalement je voyais d'autres jeunes filles qui venaient de leur petites villes et pour lesquelles l'idée de bien se marier était au dessus de leurs rêves. Mais le point positif c'est que les choses changent, et aujourd'hui, en Ukraine, les femmes deviennent plus indépendantes, elle savent se faire respecter et se défendre. La révolution de 2013, par exemple, a été faite avec un très gros soutien de très nombreuses figures féminines, qui se sont montrées courageuses, progressives et libres.

WL : Où t'es-tu senti la plus libre de réaliser tes projets ?

J'ai eu une occasion exceptionnelle de pouvoir faire mes films dans des pays différents, mais tout ça grâce aux gens ouverts, talentueux et créatifs, que j'ai pu rencontrer. Mes premiers films, à Tokyo ou à New York, ont été faits avec des petits moyens, mais cela nous suffisait toujours, parce qu'une seule et même pensée réunissait l'équipe. Le cinéma est un art collectif et tant que j'aurai cette chance de rencontrer des gens qui pensent comme moi, j'aurai toujours suffisamment de libérte pour pouvoir m'exprimer, quel que soit le pays. Mais pour réaliser mon premier long métrage, mon instinct, me fait retourner en Ukraine. Ce pays est la source de mon inspiration pour ce projet.

WL : Dans ta carrière d'actrice, quel rôle a été le plus difficile à jouer ? Celui qui t'as le plus ressemblé ?

Sans doute Ismene dans le magnifique spectacle Antigone de Lucie Berelowitch. C'était très dur d'arriver à synchroniser la tête avec le corps. Je me posais trop de questions, je cherchais constamment à justifier et comprendre le choix d'Ismène. Dans la vie, je pense que je suis plutôt Antigone, parce que quand il s'agit de ceux que j'aime, il n'y plus aucunes lois qui comptent pour moi, sauf la loi du cœur. Lucie a beaucoup travaillé avec moi, mais c'est surtout le jour où je suis tombée sur une interview d'une femme qui a perdu son mari au Bataclan, que j'ai eu un flash. Cette femme, une mère de deux petits enfants, dont un né quelques mois après la mort de son mari, parlait avec une force bouleversante. Dans son regard, d'une profondeur stupéfiante, j'ai vu un tel besoin de continuer à vivre et d'être heureuse. En l'écoutant avec admiration, j'ai compris : Ismene elle aussi a choisi la vie et pas la mort. C'est curieux, mais c'est vraiment après cet interview qu'Ismene est née dans moi.

WL : Quelles femmes t'inspirent au quotidien ?

Il y en a beaucoup. Parmis elles les réalisatrices Kathryn Bigelow et Icíar Bollaín, la chanteuse Cecilia Bartoli, la photographe Christine Spengler, la metteur en scène Lucie Berelowitch, les groupes musicaux Dakh Daughters et Dakha Brakha, ma fille.

WL : Enfin, quels conseils donnerais-tu aux jeunes filles qui souhaitent embrasser une carrière de mannequin ou d'actrice ?

Je ne conseillerai pas d'embrasser une carrière de mannequin. Si vous correspondez aux standards de la mode, les professionnels vous remarqueront d'eux-mêmes. En ce qui concerne la carrière de comédien, je pense qu'il faut être très honnête avec soi-même : si vous avez du talent, il faut y aller. Si vous hésitez quant à votre talent, il ne faut pas forcer, faites ce qui vous correspond le mieux.

                                                                                    Propos recueillis par Women Lab le 3 juin 2016.


Crédits photos : © Jseb Deligny

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