Rencontre avec Julie : "Je ne suis pas plus une héroïne que n'importe qui arrivant à survivre dans ce monde de fou"


Tout a commencé avec cette vidéo postée sur le Huffington Post le 2 avril dernier à l'occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme. Par écran interposé, nous découvrions Julie Dachez, du blog Emoiemoietmoi, une femme à l'aura irradiante, diagnostiquée autiste Asperger en 2012. Rencontre avec cette femme à la fois extra et ordinaire, avec qui nous avons parlé handicap, différence, épanouissement, bande-dessinée et tatouage.


Women Lab : Tu as été diagnostiquée austiste Asperger sur le tard, à l'âge de 27 ans. Connaissais-tu ce syndrome avant d'être diagnostiquée ? Et quelle image en avais-tu ?

Julie Dachez : Je savais très peu de choses. J'avais la vision de l'autisme que tout le monde a, c'est-à-dire une vision complètement stéréotypée. Il s'avère qu'à l'époque j'étais déjà bénévole pour une petite fille avec un trouble envahissant du développement. Mais ce n'est pas pour autant que je m'étais posée la question parce que je n'avais pas connaissance des formes d'autisme plus légères donc j'en avais vraiment une vision très caricaturale. 

WL : Après avoir été diagnostiquée, as-tu été bien aiguillée dans tes démarches ?

J'ai eu assez de chance parce qu'en fait j'ai découvert le syndrome d'Asperger par hasard via un témoignage sur Internet, j'ai commencé à faire des recherches suite à ça et je suis tombée sur l'écrit d'une jeune femme qui avait été diagnostiquée via un psychiatre qui travaillait juste à côté de Nantes. J'ai réussi à avoir un rendez-vous avec ce psychiatre spécialisé, qui, lui, a posé un pré-diagnostic qui m'a semblé un peu léger donc je lui ai demandé de me faire une préscription pour pouvoir faire un bilan complet au Centre de Ressources Autisme (CRA). Six mois plus tard, je passais un bilan complet au CRA de ma région. Mais le processus de diagnostic n'est pas forcément le même, il change en fonction des CRA et du coup pour moi ça a été assez rapide, mais il faut savoir qu'en général les délais d'attente pour passer un bilan varient entre un à deux ans. C'est très très long parce qu'il y a beaucoup de demandes et ils sont en sous-effectif.

WL : Tu as été diagnostiquée il y a quatre ans maintenant. As-tu vu des évolutions dans le débat sur l'autisme en France ? Où en est-on concrètement ?

Non c'est vrai que les Plans Autisme se succèdent mais que concrètement je n'ai pas le sentiment qu'il se passe grand chose et plus particulièrement pour les adultes. Déjà la première difficulté c'est d'obtenir un diagnostic, mais une fois que l'on a ce diagnostic, concrètement rien ne change dans nos vies, nous ne sommes pas accompagnés pour autant, nous ne sommes pas aidés, nous sommes vraiment livrés à nous-mêmes. Donc moi je ne vois aucune avancée malheureusement. 

WL : Sur ton blog Emoi émoi et moi... tu te dis « aspie-rante au bonheur et aspie-héroïne à tes heures ». Quels sont tes pouvoirs ? Quel costume enfiles-tu quand tu sors de chez toi ? 

Il est rose fuschia avec des paillettes ! (rires). Je plaisante mais évidemment c'est un clin d'oeil. C'est qu'en fait, déjà, quand j'étais toute petite j'adorais me déguiser en Fantômette, j'avais ce truc-là de justicière masquée, je l'ai fait jusqu'à très tard ! Et je trouvais ça rigolo, je ne suis pas plus une héroïne que n'importe qui qui arrive à survivre dans ce monde de fou. Donc voilà je n'ai pas particulièrement de supers-pouvoirs si ce n'est d'être résiliente face aux aléas de la vie. 

WL : Et ton surnom de "Super Pépette", d'où vient-il ?

Je ne sais jamais quoi répondre quand on me pose la question parce qu'en fait je cherchais un surnom un peu rigolo et ça m'est venu comme ça, je ne saurais pas expliquer d'où ni pourquoi. Pour le coup, j'ai trouvé ce pseudo très second degré et très tourné vers l'auto-dérision et ça m'allait bien, les gens comprendront que je ne me prends pas au sérieux.

WL : C'est vrai que sur ton blog, tu as toujours le bon mot pour faire rire ton public.

Disons que moi ce que je voulais faire c'est parler du syndrome d'Asperger, qui potentiellement est un sujet profond, pour ne pas dire grave, mais je ne voulais pas que les gens viennent sur ce blog et en lisant dépriment, je voulais qu'à l'inverse ils se disent : "Mais c'est chouette elle parle de ce que je connais, de ce que je vis, je m'y retrouve et elle fait écho à mon propre vécu et ça me fait sourire, rire et dédramatiser." Voilà c'est vraiment ma ligne éditoriale. Je pourrais passer mon temps à me plaindre et à geindre - j'aurais certainement des raisons de le faire - mais ce n'est pas mon choix.

WL : En parallèle de ton blog, tu as écrit le scénario d'une bande-dessinée, La Différence invisible, qui sort en septembre prochain aux Éditions Delcourt. Comment est né ce projet ?

C'est extraordinaire puisqu'encore une fois, dans la vie, il n'y a pas de hasard. C'est une éditrice freelance, Fabienne Vaslet, qui a elle-même deux enfants Asperger, deux garçons, et qui est tombée sur mon blog un jour et qui m'a envoyée un mail en me disant : "J'ai cette idée de bd depuis un moment, ça n'a pas été fait, je trouve que ce serait chouette, j'aime bien comment tu écris, est-ce que ça te dirait d'écrire un scénario ?". Et moi tout de suite je me suis dit : "Carrément je t'ai attendue toute ma vie !" (rires). Donc j'ai écrit le scénario, je le lui ai envoyé et elle m'a dit que ça pourrait fonctionner. À partir de ce moment-là, on a cherché une illustratrice et après on a raccroché les wagons avec la maison d'édition de l'illustratrice. Ce que je trouve vraiment chouette dans ce projet c'est que c'est une femme qui m'a contactée, une illustratrice - Mademoiselle Caroline - qui a fait les dessins, et une autre femme, Sophie Chedru, qui a suivi le projet aux Éditions Delcourt. Donc c'est un projet 100 % féminin, qu'on a fait à quatre, un vrai travail d'équipe. Ça c'est vraiment très bien passé, on ne se voyait jamais, on a tout fait par mail. Même si au début avec l'illustratrice - d'ailleurs on en parle dans la BD à la fin - on a eu des moments où ça a été un peu difficile parce qu'elle, évidemment, elle voulait apporter sa patte, elle voulait adapter un peu le scénario, ce qui est normal. Moi qui suis très rigide, dès qu'elle changeait une virgule ça me rendait un peu folle (rires) donc il a fallu trouver un ryhme de travail.

WL : Peux-tu nous pitcher rapidement l'intrigue de cette bande-dessinée ?

C'est ma vie avant diagnostic et après diagnostic, un peu romancée évidemment. C'est tout ce parcours, cette quête de soi-même qui au final est une quête universelle, et c'est ça qui est intéressant. L'héroïne est une petite fille qui porte mon deuxième prénom, Marguerite, et l'histoire commence alors qu'elle a 27 ans. À la fin, on a quand même prévu, et ça j'y tenais vraiment, un carnet pédagogique pour expliquer ce qu'est le syndrome d'Asperger et ce qu'est l'autisme donc ça peut être aussi un livre-ressources que l'on peut trouver dans les salles d'attente, je l'espère, des médecins.

WL : Sur ton blog tu expliques que ton handicap est invisible et que si l'on te croisait dans la rue, nous ne saurions pas que tu es autiste Asperger. Raconte-nous une journée type avec ce syndrome.

Une journée type. Et bien je passe le plus clair de mon temps seule chez moi et c'est ça que les gens ne voient pas forcément. C'est vrai que c'est compliqué parce qu'on a coutume de me dire : "Olala mais tu n'as pas l'air autiste". Mais moi quand les gens me disent ça, et je comprends tout à fait qu'ils puissent se dire ça, je leur renvoie : "Mais est-ce que t'en connais beaucoup des personnes autistes ?". Parce qu'en fait ce qu'ils veulent dire par là c'est : "Olala mais tu ne corresponds pas aux stéréotypes que j'ai en tête et que j'ai construit à partir des films, de l'image que les médias transmettent etc.". Donc ça n'a rien à voir avec ce qu'est l'autisme, l'image que les gens en ont. Du coup, effectivement, je n'ai pas l'air autiste et il faudrait que les gens puissent vivre avec moi au jour le jour pour se rendre compte de toutes les difficultés que ça suppose pour moi : d'interagir, de faire illusion, de donner le change etc. Parce que quand on me voit comme ça on ne s'en doute pas mais ce qu'on ne sait pas c'est que moi derrière une journée comme aujourd'hui, où je passe toute la journée à Paris et où j'enchaîne les rendez-vous, je sais que je vais mettre plusieurs jours à m'en remettre. Le plus simple pour moi c'est de me préserver le plus possible, de rester chez moi dans mon cocon, parce que je maîtrise tout ce qui est sensoriel. Je maîtrise le bruit, les textures, les odeurs. J'ai mes repères, je peux me concentrer, travailler et m'adonner à mes passions. Pour moi c'est le bonheur. Donc une journée type idéale c'est de rester chez moi.

WL : On parle donc de difficultés physiques mais il y en aussi d'ordre psychiques ?

Disons qu'en fait ce ne sont pas des difficultés psychiques, ce sont plutôt des particularités cognitives, c'est-à-dire que le cerveau est câblé différemment, qu'il fonctionne différemment. C'est pour ça qu'effectivement on va avoir des difficultés de communication et d'interaction. Après les difficultés physiques ça peut être une forme de maladresse physique, des difficultés psychomotrices etc.

WL : Dans ton discours de 2014 donné au gala de charité d'Autistes sans Frontières tu as dit ceci : "Réjouissez-vous car les autistes sont une chance pour notre société, nous avons tant à apporter". Qu'entendais-tu par là ?

Ça vaut pour les autistes comme pour n'importe quel type de personne "déviante", au sens sociologique du terme, c'est-à-dire n'importe quelle personne qui dévie de la norme. Pourquoi on a des choses à apporter ? Parce qu'en fait on permet aux individus de se questionner sur leur propre normalité et sur les cases dans lesquelles ils s'enferment. C'est vrai que pour moi ça peut être difficile de faire des choses qui pour vous sont très faciles. Par exemple, pour les gens, en général, c'est très facile d'interagir, de se faire des amis, de discuter avec la boulangère etc. Ça, pour moi, c'est compliqué, mais à l'inverse j'arrive à faire des choses qui pourraient être très compliquées pour les gens. Par exemple, quand je m'intéresse à un sujet, je vais tout apprendre sur ce sujet en un temps record, je vais devenir une experte là-dessus et je vais coiffer au poteau des experts qui auraient X années d'études donc ça typiquement c'est une compétence que l'on a que les autres n'ont pas. Et on a des choses à apporter à ce niveau-là. 

Ce n'est pas parce que l'on est différent que l'on a rien à apporter, au contraire. 

Peut-être que simplement on ne peut pas les apporter comme les autres le feraient, c'est-à-dire qu'on ne peut pas forcément travailler 7-8 heures par jour dans une entreprise, dans un bureau. Peut-être qu'il faut juste penser à adapter le milieu professionnel et scolaire, entre autres, pour que des gens comme nous, qui fonctionnent différemment, aient leur place et puissent faire profiter à la société de toute notre richesse car ce n'est pas parce qu'on est différent que l'on a rien à apporter, au contraire. C'est quand même honteux parce qu'en France on a seulement 20% des enfants autistes qui sont scolarisés en milieu ordinaire et dans un pays comme l'Italie, ça fait depuis les années 70 que tous les enfants, quelque soit leur niveau de handicap, donc même des enfants en situation de polyhandicap, sont scolarisés en milieu ordinaire. Et voilà on se dit comment ça se fait qu'en France, en 2016, on soit incapable de scolariser les enfants différents, ce n'est pas normal, on les met dans des hôpitaux de jour, des hôpitaux psychiatriques. Ils ne peuvent pas évoluer et en plus de ça les enfants dits "normaux", ils ne sont pas habitués à cotôyer des enfants différents et même nous, adultes, on en voit rarement des gens en fauteuil par exemple dans la rue. Donc qu'est-ce qui se passe dès qu'on en rencontre un ? On ne sait pas comment interagir, on oublie presque que c'est une personne avant d'être un fauteuil. C'est préjudiciable pour tout le monde. Je ne sais pas si c'est un manque réel de volonté politique, je n'arrive pas à comprendre qu'en France on en soit là encore aujourd'hui, ça me dépasse complètement. 

WL : Depuis que tu as été diagnostiquée, ta vie personnelle comme professionnelle a littéralement changé.

Oui, ma vie a complètement changé. Déjà j'ai décidé de reprendre mes études. Aujourd'hui je suis en 3ème année de thèse en psychologie sociale et je travaille sur les discriminations à l'égard des personnes autistes adultes en France. C'est vraiment un sujet qui me passionne. Et puis j'étais avec quelqu'un et ça ne me convenait pas du tout, la vie de couple ne me convenait pas donc j'ai quitté cette personne, je me suis pris un appartement pour moi toute seule et j'ai appris à aménager ma vie, mon environnement, en fonction de mes possibles et de mes limites, et ça change tout en fait. Parce qu'à partir du moment où on s'autorise à vivre en accord avec soi-même et bien forcément on se sent mieux dans sa vie de tous les jours. On fait les bons choix. Quand soi-même on se sent mieux, on irradie quelque chose de positif et on montre l'exemple et je pense que moi, en étant libre d'être moi-même et en parlant sans honte de la personne que je suis, avec toutes mes particularités, et bien je libère la parole et j'autorise les gens aussi à être eux-mêmes. Et ça on en a besoin. 

WL : Quel est ton parcours intial ? Tu as fréquenté une école de commerce ?

Oui j'ai fait une école de commerce, je n'ai pas fait de prépa j'ai passé le concours post-bac où j'ai intégré l'école de Marseille en bac+4 et après j'ai fait l'ESCP à Paris.

WL : Et donc après tu as travaillé en entreprise ?

Oui j'ai travaillé en entreprise puis au bout de neuf mois j'ai jeté l'éponge et j'ai rejoint une entreprise familiale, une petite agence immobilière gérée par mon père, parce que c'était le seul moyen pour moi de réussir à travailler et à gagner ma vie.

WL : Que dirais-tu à ceux et celles qui ne se sentent pas à leur place professionnellement ?

Le travail s'entend au sens large, par exemple quand j'écris sur mon blog, c'est du travail, et l'emploi n'est qu'une forme de travail rémunérée. Et pour moi, ça ne me fait pas rêver de vendre ma force de travail à un employeur. Bon c'est une vision qui est assez marxiste mais c'est ma position intellectuelle. Et je pense qu'effectivement, on est pris dans un système où on n'a pas le choix. Aujoud'hui, si on veut avoir de l'argent et avoir une vie, il faut qu'on aille vendre sa force de travail. Et le problème c'est que la plupart du temps, lorsque l'on vend sa force de travail aujourd'hui sur un marché qui est aussi tendu que le nôtre, et bien on se trouve prisonnier parce que l'on sait très bien que si on part on ne pourra pas dès le lendemain trouver un job et donc forcément il y a un rapport très inégalitaire entre l'employeur et l'employé et on se retrouve à accepter des choses qu'en temps normal on n'accepterait pas. 

On se retrouve à se renier et c'est extrêmement compliqué. Evidemment on ne peut pas imaginer que quand on bosse 8 heures par jour quelque part, on rentre chez soi, on oublie tout et ça y'est la vraie vie commence. Donc qu'est-ce qui se passe ? On est en train de passer complètement à côté de sa vie et ça c'est un vrai problème parce que je ne vois pas comment les gens peuvent être bien dans leur peau dans cette situation et je ne vois pas comment la société peut évoluer favorablement si on continue comme ça à être exploité, parce que pour moi c'est une forme d'exploitation. En fait on est prisonniers d'un système. C'est pour ça que Les Nuits Debouts sont hyper intéressantes parce que là on sent qu'il y a un ras-le-bol et un ras-le-bol qui potentiellement pourrait déboucher sur quelque chose de concret. Les gens commencent à se réapproprier la chose politique, à s'en emparer. 

WL : Que dirais-tu aux jeunes qui cherchent le chemin vers l'épanouissement, que tu parcours toi depuis ton diagnostic  ?

C'est délicat de donner des conseils universels, mais le seul truc que je dis aux gens c'est vraiment l'idée de se reconnecter à eux-mêmes. Ça semble hyper compliqué mais non, il suffit juste de se reconnecter à ses émotions. Qu'es-ce que je ressens à ce moment-là ? Si je ne suis pas bien et bien c'est que ça ne me convient pas. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Et si là je me sens bien, je rigole, je passe un bon moment et c'est vers ça qu'il faut aller tout simplement. Mais on est complètement déconnecté de nos émotions et on étouffe, on étouffe, on étouffe, on est à fond dans le cérébral, dans le quotidien, et on n'a pas le temps de les écouter, ça fait qu'on est complètement déconnectés de nous-mêmes et qu'on fonce droit dans le mur. Voilà c'est juste ça, juste prendre le temps de s'écouter. Et puis après il y a des pratiques comme la méditation, qui permettent aussi de se recentrer. Aujourd'hui, je médite et je pratique le Reiki, ce sont des soins énergétiques un peu comme le magnétisme, et l'avantage c'est que l'on peut le faire sur les autres mais aussi sur soi.

WL : Tu as un tatouage sur le bras sur lequel sont disséminés dans des branches les mots "Advocacy", "Acceptance" et "Awareness". Peux-tu nous expliquer la symbolique de ce tatouage, ce triple A qui te colle à la peau ?

C'est justement suite au diagnostic, je ne voulais plus oublier tout ce chemin que j'avais réalisé, je ne voulais plus du tout me perdre de vue et je me suis dit qu'un moyen d'ancrer ça c'était justement de l'encrer en moi. Je n'étais pas du tout tatouages sauf que j'ai découvert Lionel Fahy, cet artiste incroyable, et je suis arrivée avec cette citation d'Einstein, bon a priori ce n'est pas de lui mais peu importe, qui dit : "Tout le monde est un génie mais si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre il passera sa vie à croire qu'il est stupide". Et ça m'a tellement parlé que je suis arrivée avec cette citation et je lui est dit : "Qu'est-ce qu'on peut faire ?". Donc il m'a fait ce dessin et j'avais quand même envie d'avoir ces trois mots-là qui pour moi sont importants. Après le tatouage c'est addictif donc j'ai eu envie de faire l'extérieur du bras.

Je fais partie d'une pluralité de minorités : je suis à la fois autiste, en même temps je suis végétarienne, complètement agenrée parce que je ne me sens ni homme ni femme et puis aussi je suis tatouée et je ne suis plus à ça près. 

WL : Tu disais que tu te sentais ni homme ni femme, est-ce qu'il y a des femmes quand même qui t'inspirent au quotidien ?

Oui complètement. Les femmes qui cassent un peu les stéréotypes de genre et qui vont être très androgynes me fascinent assez. J'aime beaucoup par exemple Grace Jones, Tilda Swinton ou Héloïse Letissier de Christine and the Queens, que je trouve vachement chouette. Ces femmes-là je les trouve géniales et dans un autre registre je suis assez fascinée par Sarah Bernhardt et sa devise "quand même", que je trouve géniale parce que voilà cette femme-là aussi a fait fi des conventions sociales, c'était une femme hyper déterminée et courageuse, c'est vraiment une inspiration pour moi.

WL : À quel moment de ta vie as-tu compris qu'être une femme ça n'allait pas être si simple ?

J'ai beaucoup plus de mal que mes homologues masculins à me faire entendre et je pense que nous les femmes autistes on est invisibilisées à double titre : déjà parce qu'on camoufle mieux nos difficultés mais aussi parce que l'on ne nous donne pas la parole.

Oui. J'ai mis beaucoup de temps à le comprendre ça et je dirais qu'en fait depuis peu je mesure vraiment toute l'ampleur des conséquences de mon genre. La première fois, c'est quand j'étais avec mon ancien conjoint. J'ai été à un déjeuner chez sa famille, sa mère se lève pour débarrasser, donc évidemment par politesse je me lève pour l'aider, les trois garçons restent à table à discuter mais au bout d'un moment mon conjoint se lève pour l'aider à débarrasser également et sa mère lui dit : "Nan nan chéri reste assis on s'en occupe". Et là je me suis dit c'est choquant quand même parce qu'à la rigueur c'est moi l'invité c'est moi qui devrait rester assise (rires) et lui bon, il n'a rien dit et s'est rassis. Je me souviens avoir dû lui expliquer dans la voiture, sur le chemin du retour, que ce n'était pas parce que j'avais un vagin que j'étais plus prédisposée que lui à faire la vaisselle. Il y a eu évidemment toute une succession de prises de conscience mais récemment, depuis que je suis dans le milieu de l'autisme, là aussi ça m'impacte de plein fouet parce que ça fait quand même quatre ans que j'ai le blog, que je fais des vidéos, que je donne des conférences, que vraiment j'essaye par tous les moyens possibles de prendre la parole, et c'est pas facile de me faire entendre. J'ai beaucoup plus de mal que mes homologues masculins à me faire entendre et je pense que nous les femmes autistes on est invisibilisées à double titre : déjà parce qu'on camoufle mieux nos difficultés mais aussi parce que l'on ne nous donne pas la parole. Et les seules personnes qui m'ont permis de m'exprimer ce sont des femmes. 

WL : Que dirais-tu à la jeune fille que tu étais si tu la recroiserais ?

Je lui dirais accroche-toi et le temps guérit toutes les blessures. 

WL : En 2012, tu as écris sur ton blog un billet sur le fait d'être "childfree", autrement dit que tu n'éprouves pas le désir de reproduction. Il y a beaucoup d'incompréhensions autour de ce sujet, tabou aujourd'hui. T'a-t-on déjà fait des remarques à ce sujet ? Considérée comme quelqu'un d'égoïste ? 

Oui beaucoup. Aujourd'hui moins parce que du coup c'est rigolo j'ai la possibilité de dire : "Oui mais l'autisme c'est génétique donc je risquerais de transmettre l'autisme à mes enfants". Donc tout de suite les gens me disent : "N'en fais surtout pas n'en fais surtout pas ! Ahlala les dérives eugéniques, mieux vaut en rire qu'en pleurer !" (rires). Mais oui sinon avant j'ai eu le droit à : "Mais tu vas changer d'avis, mais attends c'est hyper épanouissant moi je vois bien que tant que j'ai pas eu d'enfant en fait j'étais pas vraiment femme". La pression sociale sur les femmes à ce sujet-là est vraiment énorme. Moi je dispose de mon corps comme je l'entends et si je n'ai pas envie de faire d'enfant et bien je n'en ferai pas et puis c'est tout. 

WL : Te sens-tu féministe ? Qu'est-ce que le féminisme pour toi ? 

Complètement. Pour moi ce mot est hyper positif mais c'est vrai qu'aujourd'hui il est plutôt vu de façon négative. Il y a une citation que j'aime bien, de Rebecca West, qui dit : "Je n'ai jamais réussi à définir le féminisme. Tout ce que je sais, c'est que les gens me traitent de féministe chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson". Donc ça veut bien dire ce que ça veut dire. 

WL : En parlant de citation, pour finir en as-tu une qui te tient à coeur ?

Oui la citation de Jiddu Krishnamurti : "Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale d'être bien adapté à une société malade", que je trouve très très chouette. 

                                                                                 
                                                       Propos recueillis par Women Lab le 14 avril 2016 au Hubsy Café.


Crédits photos : © Isabelle Ratane - © Editions Delcourt

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