Lisa Azuelos : "Comment fait-on pour arrêter un mal qui n'a pas de nom ?"


Actuellement en tournage de son cinquième long-métrage, le biopic Dalida, la réalisatrice française Lisa Azuelos a profité de la Journée Internationale des droits des femmes pour lancer un appel contre la gynophobie, accompagné d'un appel à court métrage afin de sensibiliser sur la question. Entretien.


© Sébastien Vincent
© Sébastien Vincent

Women Lab : Quel a été le déclic pour fonder l'association "Ensemble contre la Gynophobie" ?

Lisa Azuelos : Il y a un an, je me suis retrouvée à un colloque sur le féminisme et j'ai pris conscience qu'il n'y avait pas de mot pour décrire les violences et discriminations que subissent les femmes. On dit "les violences faites aux femmes". Lesquelles ? On ne sait pas. Où ? On ne sait pas. Quelles femmes, on ne sait pas non plus. Ce sont des violences "comme ça" qui sont faites à des femmes "comme ça". Je me suis dit que c'était fou qu'on n'ait pas notre mot négatif à nous. Comment fait-on pour arrêter un mal qui n'a pas de nom ? Donc il fallait lancer ce mouvement, ce mot de gynophobie. Cette association www.nogynophobie.org.

WL : Qu'est-ce qu'un acte de gynophobie et d'où provient ce mot encore peu usité ? 

Ce mot c'est la contraction de gyno, femme en grec et phobie, peur, crainte, aversion. Donc gynophobie pour que les femmes aient leur mot à elle, dans le même registre que l'homophobie. Un acte de gynophobie, peut aller de la simple insulte de rue que l'on doit toutes supporter, bien trop souvent, jusqu'aux mariages forcés et toutes les mutilations génitales en passant par les discriminations salariales...

WL : Avez-vous vous-même déjà été victime de gynophobie ?

J'ai de la chance de vivre là où je vis et de ne pas être née dans certains pays où la conditions de la femme n'existe tout simplement pas. Pour ma part, c'est plutôt des insultes de rue, récurrentes, du genre une fois où je faisais du vélo, "Enlève ta selle, salope". C'est toujours charmant.

WL : Quelle femme rêviez-vous d'être quand vous étiez petite ?

Ma famille rêvait que je sois une jeune fille parfaite, sur tous les plans, une jeune fille qui ne fasse pas trop de vagues, qui ne se fasse pas trop remarquer. Mais ce que l'on ne m'a pas vraiment appris, ni transmis c'est de me faire du bien. Ce n'est que mon gynécologue lors de mes grossesses qui m'a dit que finalement pour être une bonne mère, il fallait que je sois une femme heureuse. C'est ce que je cherche avant tout, être heureuse. Rire. Danser. Aimer.

WL : Quelle(s) femme(s) vous inspirent au quotidien ?

Amma, est cette figure spirituelle indienne, fondatrice de l'ONG "Embracing the World", elle prend dans ses bras pour transmettre de l'amour des millions de personnes tous les ans, elle reste mon guide au quotidien. Dans le milieu du cinéma, je suis très admirative de Meryl Streep, son travail, sa vie, ses engagements. Et sinon, mes filles, et mes grands-mères disparues.

WL : À quel moment de votre vie avez-vous compris qu'être une femme ça n'allait pas être si simple ?

J'ai d'abord compris qu'être, tout court, n'allait pas être évidement. Et puis au moment de la puberté toutes mes amies étaient formées et moi j'avais encore un corps de petite fille.

WL : Que diriez-vous à la jeune fille que vous étiez si vous la recroiseriez ?

"Sois heureuse".

WL : Qu'est-ce que vous vous dites quand vous voyez votre reflet dans le miroir ?

"Tu es vivante".

WL : Qu'aimeriez-vous accomplir dans le futur (en dehors du monde du cinéma) ?

Je veux qu'à ma mort la gynophobie ait disparu de cette terre. C'est ambitieux mais il n'y aura jamais de paix dans le monde, si le masculin et le féminin n'arrivent pas à vivre ensemble.

WL : Votre prochain film parlera de Dalida. Pourquoi avoir choisie de brosser le portrait de cette femme en particulier ?

Le choix de réaliser ce film est finalement assez personnel car il me permet de parler en filigrane de ma mère chanteuse, elle aussi (NDLR Lisa Azuelos est la fille de Marie Laforet). La vie de cette femme est une vie qui oscille entre solitude et trop plein lié à la célébrité. Il me semble que cette dualité est intéressante. Et le choix de Dalida est également lié à ses histoires d'amour, bien souvent douloureuses. Et finalement nous pouvons toutes nous y reconnaître.

WL : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui veulent réussir dans la vie ?

Déjà avant de vouloir réussir dans la vie, il me semble qu'il faudrait qu'une jeune fille se réalise elle-même. Qu'elle se trouve et ne laisse personne choisir à sa place. Ça prend beaucoup de temps et c'est peut être ça la vie. Et peut être aussi que pour réussir sa vie, il faut apprivoiser la solitude. Ne plus en avoir peur et qu'elle devienne une "amie".

Propos recueillis par Women Lab le 11 mars 2016.


Crédits photos : © Sébastien Vincent

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